Buju Banton n’est jamais parti
Cela faisait 10 ans que nous n’avions ni entendu sa voix, ni vu son visage. Buju Banton était dans les années 90 presque aussi connu que Bob Marley en Jamaïque. « Upside Down » arrive comme une bénédiction avec 20 titres d’une grande qualité de production et une ribambelle de feat tous plus prestigieux les uns que les autres : Stephen Marley, Pharrell Williams, John Legend ou encore Stefflon Don.
« Upside Down » est sûrement l’un des albums les plus attendu par la communauté reggae depuis longtemps. Il est produit par Gargamel Music soit Buju Banton lui-même, accompagné de Donovan Germain et Steven « Lenky » Mardsen. On retrouve aussi l’ingénieur Jermain Reid et le Shiloh Band. La voix si particulière de Buju, nous avait tellement manquée. Avec ce nouveau projet, il nous offre un opus riche et versatile qui passe du dancehall au roots, en passant par du new roots, de l’afrobeat, du rap ou encore de la soul.
Dix années difficiles
Alors qu’en février 2011 il remporte son premier Grammy, peu de temps après Buju Banton va être jugé pour possession de cocaïne dans l’intention de la revendre. Malgré un dossier mince et très peu de preuve, il a tout de même purgé sept ans de prison dans une prison fédérale américaine. Sa libération a été un réel événement en Jamaïque.
L’une des premières choses que Gargamel a fait en sortant de prison a été de supprimer son titre « Boom Boom Bye », un titre ouvertement homophobe, de toutes les plateformes de streaming. Il a ensuite présenté ses excuses. Un mal nécessaire, premièrement pour reconnaître les dégâts qu’il avait pu causé, mais aussi pour ne pas décrédibiliser la visée politique de « Upside Down ». En effet à travers ce titre Buju vise à décrire un monde où « le bien est appelé le mal et les mensonges sont acceptés comme la vérité ».
Avec ce nouveau projet, Buju Banton s’attaque à un éventail de topics : la passion, l’amour, l’espoir, le mal-être, la situation actuelle de nos sociétés. Il parle aussi de son histoire, de tout le chemin qu’il a dû parcourir pour en arriver là où il en est aujourd’hui.
Buju Banton iconique
À 46 ans Buju Banton n’a rien perdu de la grandeur de sa voix si iconique. Il a conservé tout son charisme et sa polyvalence. Sur l’album il alterne avec facilité roots, rock, ragga et dancehall, comme peu d’artistes peuvent le faire.
« Upside Down » s’ouvre sur la tune « Lamb Of God » purement gospel, qui sonne presque comme un hymne spirituel. À noter que « Lamb of God » avait déjà été chanté par Buju en première partie du concert Long Walk To Freedom à Kingston il y un an. On enchaîne avec une reprise de « Duppy Conqueror » de Bob Marley, intitulée « Yes Mi Friend » en collaboration avec Stephen Marley. Arrive l’excellente tune « Buried Alive » sur un riddim new roots nourri aux guitares électriques, d’une intensité incroyable. La chanson s’attaque à la fois à l’euphorie, à son bonheur post-prison avec un optimisme admirable mais aussi à l’inquiétude et au désespoir que génère la Covid-19 actuellement.
Le projet se poursuit avec le morceau « Blessed » un riddim entre dancehall et stepper. Une bombe qui ne fait pas dans le détail, efficace et directe ! Arrive ensuite « Memories » en feat avec John Legend, une association surprenante mais très intéressante sur le plan musical, le riddim évolue en fonction du flow des deux compères. « Lovely State of Mind » parle directement à votre coeur. La tune est d’une beauté affolante, accompagnée par une section de cuivres et de superbes lignes de guitares électriques. La voix de Buju prend une profondeur sans commune mesure. Mention spéciale pour cette ballade Roots !
Un album versatile
La tune « Appreciated » n’est ni plus ni moins une reprise du Waterhouse Rock Riddim. Sur le morceau « Trust », Gargamel met en lumière les trahisons auxquelles on peut faire face dans une relation amicale ainsi que la paranoïa que cette relation peut générer. Le tout sur un riddim dancehall surprenant lors de la première écoute, mais qui ne tarde pas à vous conquérir au bout de deux ou trois écoutes. On poursuit avec le déroutant « Beat Dem Bad », la très swing « Good Time Girl », et encore Moonlight Love » qui apportent un côté reggae skank et joyeux à l’album. Arrive « Cheated » un riddim multicouche d’une grande modernité. La tune « Steppa » est un plaidoyer anti-arme qui amène la prochaine tune « World is Changing ». Un morceau sur lequel il s’attaque au capitalisme et pleure la crise des migrants et la situation de la Palestine.
« 400 Years » apporte des couleurs de modern roots et de Nyabinghi à l’album, sur des lyrics décrivant la solidarité entre les communautés noires, les pauvres et les opprimés. « Rising Up » nous ramène dans un univers plus roots avec quelques notes de melodica en ouverture et un riddim tranchant. Le morceau sonne comme une prophétie du mouvement actuel mondial : Black Lives Matter. L’avant dernière tune « Helping Hand » produite par Bobby Digital délivre un message qui a pour but d’amener les peuples vers plus d’autonomisation et de soutien entre eux.
Le dernier morceau « Unity » comme son nom l’indique nous sommes de nous unir pour qu’un monde meilleur éclôt. Le tout sur un riddim Afrobeat-Jazz complètement dingue ! Ce dernier morceau est un vrai coup coeur et clos ce projet hors-norme avec virtuosité.
Tranchant et vif d’esprit
À mon sens les seuls morceaux qui ne fonctionnent pas sur le projet car trop américanisé et qui ne correspondent pas à la philosophie de l’opus sont : « Call me » en feat avec Stefflon Don et « Cherry Pie » en feat avec Pharell Williams. Ce dernier délivrant un riddim très pop sur des lyrics qui ne présentent aucun intérêt.
Avec cet album Buju nous invite à partager ses pensées et ses préoccupations vis-à-vis de la situation mondiale et s’efforce de décrire avec précision la réalité de vivre à une époque comme la notre. Buju reste toujours aussi engagé, tranchant et vif d’esprit, comme si ces 10 dernières années n’avaient pas existées.
By Little Bilbo Team Selecta k-za